Une rencontre

De nobles conteurs, à l'esprit empli de légendes et de hauts-faits, parcourent souvent notre belle place ! Venez les écouter !

Une rencontre

Messagepar lara » Dim 25 Avr 2004, 17:31

Les combats avaient fait rage. Elle distinguait dans la pénombre des amoncellements de corps, là où le plus fort de la bataille avait prélevé son lot de vies. Parmi eux, nombre de ses camarades. Des râles, des gémissements, des appels au secours fusaient dans le calme apparent du soir tombant. L’odeur du sang surnageait sur la plaine, comme portée par la brume qui montait du fleuve en contrebas.
Le maigre sentiment de satisfaction ressenti quand la victoire fût remportée, ne parvenaient à supplanter dans son esprit la fatigue, le harassement après des heures à manier l’épée d’estoc et de taille, la lassitude de ces assauts toujours répétés.

Du plus loin qu’elle se souvienne, jamais elle n’avait connu la paix. Ces jeux de petite fille souvent avaient été interrompus par l’arrivée de hordes hurlantes, semant la panique dans le village. Il fallait alors courir le plus vite possible, trouver refuge dans les grottes aménagées par les anciens, se cacher jusqu’à ce qu’enfin les rumeurs de la bataille s’estompent, que ne subsistent que les plaintes et les pleurs. On dénombrait les morts, les disparus, les larmes coulaient sur les visages hagards, les appels des femmes retentissaient dans l’air chargé de fumée alors que les habitations se consumaient, qui cherchant un fils, un mari, un père.

Elle secoua la tête, chassant ces sombres souvenirs. Il lui était néanmoins de plus en plus difficile de repousser ces accès de découragement, d’accablement. Son regard, où qu’il se posa, ne rencontrait que désolation et souffrance.
Soudain une ombre se détache contre le ciel obscur. La nuit ne luit d’aucune étoile, semblant s’associer au deuil de cette journée. Une silhouette haute et massive, s’avance vers elle, s’agenouille à son côté. Trop lasse pour lever la tête, elle ne distingue du personnage que son armure d’écaille, le havresac qu’il a posé à terre, et deux robustes mains qui en extraient remèdes et onguents.
« Voulez-vous que je vous soulage de vos blessures ? »
C’est donc un druide, sa voix bien timbrée résonne dans l’obscurité.
« Si vous pouvez soigner les blessures de l’âme, oui… »
« Commençons donc par celles que portent votre corps. »
Délicatement il l’aide à ôter son haubert, passe en revue les nombreuses estafilades, examinant leur gravité.
« Rien de trop sérieux, vous avez eu de la chance, il vous suffira d’appliquer ce baume pendant quelques jours et tout rentrera dans l’ordre. »
Il semble hésiter à poursuivre, intrigué par cette jeune fille, désireux de prolonger la conversation. Pourtant elle semble à peine avoir conscience de sa présence, peut être vaut-il mieux la laisser ?
Enfin elle se décide à lever la tête, et son regard rencontre deux yeux clairs, cristallins, emprunts d’une tristesse à fendre l’âme, d’un désarroi poignant, d’une fatigue de l’être à laquelle il n’aurait pu s’attendre chez une si jeune personne.
« Venez », dit-il, et la saisissant par le bras il l’aide à se lever. Elle se laisse emmener docilement, comme tout à coup vidée de volonté, heureuse d’être prise en charge.
Des feux ont été allumés, l’armée se restaure, panse ses blessures, dans l’attente du lendemain et des combats qui reprendront. Quelques chants mélancoliques se font entendre dans le bivouac, mais beaucoup de guerriers déjà sont endormis.
Elle laisse la poigne ferme et rassurante du guérisseur la guider, il étale une couverture, ravive les flammes mourantes. Il s’éloigne quelques instants, revient avec deux écuelles de soupe épaisse, une miche de pain.
« Mangez, si cela n’apaise votre âme, au moins votre corps y puisera t-il des forces. »
Elle l’observe à la dérobée, pendant qu’ils se nourrissent. Il a les traits propres à sa race, les Firbolgs, la stature imposante est musculeuse, pourtant une impression de douceur se dégage de lui. Les traits du visage sont martelés comme au burin, les pommettes saillantes, la bouche charnue, les yeux… des yeux pénétrants qui la transpercent. Rougissante, elle ne peut pourtant baisser le regard, happée par l’intensité qui en émane. De longues minutes ils restent à s’observer, à se jauger. Puis, gagnée par un trouble inconnu, elle rompt le charme de cet étrange instant.
Leur maigre pitance est vite avalée. Le corps perclus de fatigue, ils s’allongent pour quelques heures de répit. Tandis que le sommeil l’engourdit, elle songe qu’elle ne lui adressé nul merci pour le soin qu’il a pris d’elle. Elle sent sa présence, perçoit sa respiration paisible, se laisse gagner par la quiétude qu’il dégage. Une pensée fugace la traverse, une envie de se lever, de s’approcher de lui, de se glisser entre ses bras, d’y puiser réconfort. Pourtant, elle ne bouge et s’endort, les rêves peuplés de bruit et de fureur.
Au cœur de la nuit, il guette son souffle, fronçant les sourcils en l’entendant gémir et se retourner sur sa couche. Un irrépressible besoin monte en lui, il voudrait effacer en elle les souffrances, les images de mort et de dévastation, lui prouver que la vie n’est pas cette litanie de tourments, de séparations et de déchirements.
Quand elle s’éveille, dans la grisaille blafarde du petit matin, il est déjà parti. Un curieux pincement lui étreint le cœur. Mais bien vite, l’habitude reprend le pas, les gestes maintes fois accomplis s’enchaînent, la voilà prête à regagner le reste de la troupe.
La journée durant, les combats se poursuivent, plus féroces que jamais, les dernières forces de chaque parti sont engagées en cet ultime assaut. S’ils parviennent à repousser les ennemis hors des frontières, ils gagneront quelques mois de paix, le temps pour chaque armée de regonfler ses rangs. Souvent elle lève les yeux du champ de bataille, cherchant parmi les combattants une silhouette, et toujours elle la voit, non loin d’elle, prodiguant des soins aux blessés, dispensant des paroles d’apaisement. Leurs regards s’accrochent parfois, une poignée de secondes, qui lui suffisent à reprendre courage, à lui insuffler une détermination infaillible.

A nouveau la nuit gagne la plaine. Les derniers attaquants ont été repoussés. La victoire est acquise. Naturellement ils se sont retrouvés, comme indissociables à présent. Sans qu’un mot soit échangé, il vient vers elle, la prend par la main et l’entraîne vers le fleuve. Un sentiment de plénitude l’étreint, comme jamais elle n’en n’a ressenti. Elle, qui fuyait tout rapprochement avec quiconque, qui fermait son cœur pour ne plus souffrir, ne comprend ce qui lui arrive, cette attirance soudaine, irréfléchie, irrésistible et impérieuse qui la pousse vers lui. Ils parviennent au bord de l’eau, se laissent bercer de son doux murmure, contemplent le ciel piqué d’étoiles. Deux silhouettes entrelacées, liées en une communion de l’âme et du cœur, ne nécessitant nul mot. Deux âmes sœurs à jamais réunies.
Plus jamais on ne les vit l’un sans l’autre.
Plus jamais ?
Non, la vie n’est pas si clémente…


To be continued… ;)
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Et une toute vieille enchanteresse 50 retirée derrière le Voile
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lara
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Messagepar Phaey » Lun 26 Avr 2004, 11:36

<Perdue dans ses pensées dans un coin reculé de la Taverne des Messagers, la jeune druidesse écoute d'abord l'histoire d'une oreille distraite>

<Très vite cependant son attention est toute consacrée au récit, y retrouvant des souvenirs semblables aux siens, lorsqu'elle se réfugiait dans les forêts pour ne plus voir les villages pillés, la souffrance et les larmes. Elle imagine tellement bien la fatigue de cette guerrière, ce sentiment de détresse face à tant de sang coulé encore et encore, face aux combats incessants qui semblent si vains parfois.>

<Nouant les bras autour de ses genoux, elle écoute plus attentivement encore. Elle tente d'imaginer l'alchimie naissant entre les deux êtres, mais n'y parvient pas. Son propre coeur n'a toujours été tourné que vers la nature, se fermant - volontairement ? inconsciement ? - à tout le reste. Elle se sent toutefois touchée et intriguée par ces émotions semblant si fortes, si belles, si justes.>

<Elle lève les yeux vers Lara et sourit timidement> Dis... tu nous raconteras bientôt la suite, n'est-ce pas ?


(Vraiment excellent récit, merci à toi :) )
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Phaey
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Messagepar Tower » Lun 26 Avr 2004, 21:32

"Aaah le charme firbolg" pense en souriant Tower

Belle histoire Lara, il est vrai que le combat nous rapproche souvent et crée de belles histoires comme celle que tu nous as raconté avec talent.
Espoir et Honneur

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