par Volna » Jeu 05 Août 2004, 3:14
- Bon, il va faloir se décider, dit Sophen sans conviction.
- Oui, répondit Korac sur le même ton.
- Regardez moi ces lâches! s'exclama Moko, Ce n'est qu'une vieille caverne ses seuls dangers viennent du fait qu'elle est sombre et glissante à cause de l'humidité. Toutes les histoires qu'on nous a raconté n'étaient destinées qu'à nous effrayer. A donner à cette soit disant épreuve, l'illusion qu'elle comporte un danger quelconque. A l'académie de Domnan, jamais on ne nous aurait fait participer à ce genre de mascarade! Ecartez vous bande de trouillards!
Bousculant Sophen il entra dans le caveau d'un pas décidé.
- Bande de trouillards! répéta Berthe avant de lui emboiter le pas.
Les autres se regardèrent un moment sans rien dire puis entrèrent un par un dans la caverne.
- Vous vous êtes quand même décidés! leur lança Moko en les voyant arriver. Mais sa voix avait perdu son assurance et sa superbe.
L'endroit était sombre, froid, humide et lugubre. Le sol était composé tantôt de dalles richement hornementées, tantôt de pavés mal assemblés et instables. Le plafond était une voute de pierre nue ça et là soutenue de pilliers. Les pieds crissaient sur de petits cailloux qui avaient dû tomber des murs et des arches. Ils leurs donnaient la désagréable sensation de marcher sur un tapis de vermine.
Ils descendirent donc le grand escalier qui s'ouvrait devant eux et qui s'enfonçait dans les ténèbres. Au bas de celui-ci, la lumière extérieure ne leur parvenait plus que très peu de l'entrée et donnait un caractère encore plus effrayant au couloir qui s'offrait à eux.
- On nous observe, gémit Zou qui se collait à la jambe de Korac, le gènant considérablement pour marcher.
Comme s'était désormais devenu leur habitude, le shar se pencha et prit la petite lurikeen sur son épaule. Moko gromela quelque chose d'incompréhensible, Berthe pouffa d'un rire étouffé et il poussa Korac en avant.
- Allons, avance bête de somme!
Le shar se retourna et le fusilla du regard. Moko le soutint mais n'osa aucun nouveau commentaire. Ils poursuivirent donc leur progression en silence.
Quand l'obscurité fut telle qu'ils n'y voyaient plus rien, Korac donna sa torche à Zou pour que celle-ci l'allume. Sophen se fit la réflection que ces deux là , de plus en plus, commençaient à agir comme s'ils étaient deux parties de la même personne. Communiquant sans se parler et devinant toujours ce que l'autre pensait. Ce phénomène entre eux était de plus en plus fréquent.
Une lumière blafarde et timide dansa bientôt sur les murs. C'est alors qu'ils les virent. Le coeur de Sophen s'arrêta de battre. Zou bondit de l'épaule de Korac et disparut dans les ombres. Moko laissa échaper un gargouillement.
Elles étaient devant eux. Non elles étaient autour d'eux. Au moins une bonne dizaine. De gigantesques araignées aux yeux de nuit les regardaient fixement. Elle étaient toutes plus grande que Zou et la plus massive dépassait largement la ceinture de Moko qui était le plus grand du groupe.
Mori ne dit rien. Ce qui était le signe chez lui d'une terreur extrème. Berthe et Tickel s'étaient figées les mains sur la bouche. Trilden, quant à lui, s'était subitement plongé dans la contemplation du mur le plus proche de lui.
- Quelle horreure, commenta Korac tout en tirant l'une de ses lames.
Il avait été le premier à reprendre ses esprits et, une épée d'une main, sa torche dans l'autre, il commençait à jeter un regard circulaire dans la salle et Sophen comprit alors qu'il évaluait ses chances pour le combat.
Il observa le visage de son ami et ne le reconnu pas. Lui toujours gentil, patient, parfois un peu mou même lorsqu'on l'ascitotait, il arborait une expression radicalement différente. Les traits figés, les yeux grands ouverts, les sens aux aguets, un léger rictus de concentration lui vint au coin des lèvres.
Et Sophen comprit tout à coup pourquoi Moko ne l'avait pas provoqué davantage tout à l'heure, pourquoi, lorsqu'il était victime de colibets, et sa gentillesse placide lui en avait valu quelques uns, ils ne venaient jamais d'élèves partageant ses entrainements au corps à corps. Il comprenait pourquoi Zou, qui étudiait le combat à deux armes avec lui, se réfugiait toujours dans ses jambes quand elle avait peur.
Il comprit alors, que son ami, celui qui acceptait sans rien dire qu'il lui soigne ses blessures tous les soirs serait dans un avenir proche, non était déjà un farouche guerrier capable d'endurer bien des supplices pour atteindre son but, pour remporter la victoire. Il comprenait ce mélange de respect et de crainte qu'il avait senti chez ses condisciples lorsqu'ils le saluaient le matin. Korac serait un jour une légende. Ses exploits seraient un jour contés au coin du feu de la grande salle dans la taverne de ses parents. Sophen en était intimement persuadé.
Le shar lui donna sa torche et tira sa seconde épée.
- Zou? appela-t-il sans détourner son attention une seconde.
Le bruit d'une fleche qu'on encoche fut la seul réponse qu'il reçut et il ne semblait pas en attendre d'autre. Il semblait vouer à sa petite compagne une confiance et une loyauté sans faille. Doucement il s'avança vers la troupe d'araignées qui lui barrait le chemin.
Sophen se tourna vers ses autres compagnons qui n'avaient toujours pas bougé.
- Préparez vous! leur lança-t-il et il commencèrent à marmoner leurs incantations.
- Un instant, dit calmement Trilden.
Et s'était comme s'il avait brisé leur concentration en une parole. Aux regards interrogateurs des autres il ne répondit rien mais leur désigna le mur qu'il contemplait déjà depuis un moment. Et plus précisément les mousses et lichens qui tachetaient de sombre la pierre de la paroi.
- Regardez, elles sont pâles. Il n'y à jamais de lumière ici. Les bêtes ne nous attaqueront pas.
- Par les Dieux nous voilà sauvés! railla Moko, Tu ne crois pas tout de même pas que ces horreures vont nous laisser passer si facilement?
Il tourna vers lui un regard plein d'incompréhention. Tirant sa torche de son sac il l'alluma et s'adressa à lui comme on s'adresse à un enfant qui n'arrive pas à comprendre un concepte simple.
- Biensûr que non qu'elles ne vont pas nous attaquer. Regarde.
Tenant sa torche bien haut il s'avança droit sur les arachnides d'un pas décidé. L'air contenu dans leur poumons sembla geler d'un coup à l'idée d'un sylvain déchiqueté par une horde de monstruosités grouillantes. Mais à leur grand étonnement il n'en fut rien. Celle-ci s'écartèrent sur son passage.
- Les mousses sont très pâles, comme je disais tout à l'heure, expliqua-t-il. Il n'y à jamais de lumière ici. Ces araignées n'ont même sans doute jamais utilisé leurs yeux pour percevoir leur environnement. Et tout d'un coup, nous arrivons avec de la lumière et du feu. D'instinct, les animaux savent avoir peur du feu et nous les mettons face à des sensations qu'elles n'ont sans doute jamais eu et qui donc leur font peur. En fait, elles sont bien plus effrayées que nous.
Et comme pour illustrer ses propos, il agita sa torche devant un petit groupe d'araignées qui s'enfurent aussi vite que leur huit pattes le leur permettaient. Replongeant dans son mutisme habituel, Trilden repris la marche, laissant ses compagnons abassourdis.
Ils allumèrent donc autant de torches qu'il le purent et poursuivirent leur progression dans le silence. Au fur et à mesure qu'ils avançaient ils s'habituaient à entrevoir des créatures s'enfuir sur leur passage sans véritablement avoir le temps de les identifier et personne ne s'en plaignait.
Korac ouvrait la marche secondé par Zou, Sophen, Mira et Tickel sur leur talons. Moko et Berthe suivaient à une distance respectueuse avec l'évidente volonté de ne pas se mèler aux autres. Trilden, sans cesse attiré par une curiosité végétale qu'il était le seul à discerner fermait le cortège, s'agenouillant de temps à autre pour regarder le sol ou sautant d'un mur à l'autre pour les tâter de son bâton.
La Tombe de Muire était une succession de salles plus ou moins cylindriques reliées entre elles par d'étroits couloirs jonchés d'ossements, de crânes empilés et de momies défraichies abandonnées contre les murs et les pilliers. A part les araignées, il n'y avait rien de vivant ici assurait Zou que ses sens déjà aiguisés et développés par sa formation trompaient rarement.
Ils avançaient depuis un bon moment lorsqu'ils découvrirent, dans une salle, un tas de bois vraisemblablement destiné à un bûcher funéraire qui n'avait jamais eu lieu. La pièce étant assez propre, par rapport à celles qu'ils avaient déjà visité, ils décidèrent de s'y installer pour la nuit.
Un petit feu de camp fut allumé avec le bois du bûcher pour tenir les araignées éloignées. Korac décida de prendre le premier tour de garde et les autres, emmitouflés dans leur capes et appuyés sur leurs sacs à dos, s'installèrent tant bien que mal pour tenter de dormir.
Bien qu'il eut juré le contraire tant le lieu était inhospitalier, Sophen s'endormit dès que se tête fut posée sur son barda. Et pour la deuxième fois depuis son arrivée à l'académie, il rêva du Général Mac Nölm. Il le vit, comme la fois précédente, blessé à mort, combattant des ennemis invisibles.
Mais certains détails avaient changé. Tout d'abord il vit qu'il se trouvait dans une vaste salle et circulaire au centre de laquelle s'élevait un piedestale. Sur ce piedestale trônait une statue représentant un grand homme aux membres particulièrement décharnés.
Sa tête entière était dissimulé par une capuche qui ne laissait voir qu'un trou sombre à la place de son visage. La statue d'un homme plus petit se tenait à sa droite, il portait d'étranges vêtement qui devaient autrefois représenter la charge dont il était investi. De nombreux squelettes en armes et armures étaient également entassés aux pieds des murs.
Il perçu aussi une très nette impression de danger. Un danger réel et imminent non seulement pour lui mais aussi pour ses compagnons.
Il se réveilla en sursaut. Korac était allongé près de lui et dormait à points fermés. Son tour de garde devait être terminé et il avait laissé sa place à un autre. Le feu n'était plus que braises. Il ne restait plus de la flambée qu'une vague lueur rougeâtre qui ne permettait même pas de distinguer les contours de la pièce.
Il les sentit plus qu'ils ne les vit. Mais il savait qu'elles étaient nombreuses. Saisissant une buche encore rouge il l'agita en tout sens. La faible lueur qu'elle dispensait lui permis de les entrevoir. Les araignées s'étaient approchées. Il y en avait des dizaines peut être des centaines. Les plus hardies étaient à peine à quelques mètres d'eux. Il hurla pour reveiller ses camarades.
Ils n'avaient pas le temps d'allumer de torches mais Zou n'en n'avait pas besoin, d'instinct elle était capable de se repérer dans le noir le plus total. Se tenant tous par la main ils commencèrent une fuite éperdue dans des galeries s'enfonçant encore plus profondément dans les entrailles de la terre.
Leurs poursuivantes ne les suivirent que peu de temps. Malgré leur primitive intelligence, elles étaient capable d'apprendre quelques menues choses. Et parmis ces choses, elles avaient appris à ne jamais s'aventurer sans cette galerie. Car ce tunnel était synonyme d'un grand danger que même elles malgré leur nombre n'osaient affronter. Et leurs proies se dirigeait droit dessus.
A suivre.
Si j'avance, suis moi.
Si je meurs, venges moi.
Si je fuis, tues moi.
Ce dont il faut avoir peur, c'est de la peur elle-même.